Ariane et son autobus jaune

Quoi faire dans une file d’attente pour passer le temps? Première option, s’obstiner avec les chums pour trouver la meilleure option pour profiter de ce gros 25 cm de neige fraîche. La 2e option consiste à voir si de jolies filles se posent la même question!

Au travers de la foule, je repère un collant d’Estski  (média spécialisé dans le ski hors-piste au Québec). Mon œil est attiré par la propriétaire de la planche. La file avance trop vite et je la perds de vue. J’oublie tout alors que je surfe et vole sur les lips de poudreuse sans m’arrêter.

Quelques semaines plus tard, je revois ce fameux collant. Ça doit être la fille de l’autre jour. On jase un peu et j’apprends qu’elle se promène de montagne en montagne en vivant dans son bus pour l’hiver. Le genre de truc qui me parle.

Le ciel est bleu et il n’y pas de vent, ce qui est rare à Lake Louise. Je grimpe jusqu’au sommet de la crête pour me sentir le maître de mon monde. La descente dans « Brown Shirt » est du bonheur à l’état pur. En partant de la montagne, je vois un bus jaune avec une plaque du Québec dans le stationnement.

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Crédit photo: Ariane Goulet Vue sur Shames Mountain, près de Terrace au BC.

En zyeutant un article sur le « Freeride World Tour » qui avait lieu à Kicking Horse, je constate que la gagnante est une fille du Québec, Ariane Goulet, et que c’est la fille de l’autobus.

De fil en aiguille, on s’est jasé et gardé au courant du déroulement de son périple. Hier, j’ai fait une entrevue avec elle alors qu’elle est de retour au Québec.

Qui est donc Ariane Goulet?

Ariane est venue au monde sur une montagne ou dans un banc de neige de la Rive-Sud de Montréal. À l’âge de 4 ans, elle commence à faire du ski. La planche à neige l’a frappée de plein fouet à l’âge de 9 ans.  À 14 ans, elle se tourne vers l’enseignement de la planche à neige au Mont St-Bruno (la plus grosse montagne de l’univers!). À travers le programme sports-études, elle aura amplement l’occasion de satisfaire son besoin de bouger et de s’entraîner.

Lors de ses études en tourisme, bien qu’elle s’entraîne pour la compétition (snowboard cross et slalom géant), l’objectif ultime n’est pas de gagner. Avoir du plaisir et suivre le circuit des épreuves l’allume bien plus! Ce qui ne fait pas l’affaire des autres équipes qui elles, sont plus sérieuses! La suite logique des choses serait de devenir une athlète avec tout ce que cela implique : de l’entraînement en gymnase, un ou une nutritionniste et du coaching.  « Ça devenait sérieux, me confie-t-elle, et ça m’a fait peur. Je me suis rendu compte que j’aimais plus la planche à neige que la compétition ».

Et c’est ainsi qu’Ariane est passée à l’Ouest. Le volet compétition a été mis sur la glace et elle est partie pour Tofino, sur l’île de Vancouver, pour y apprendre l’anglais (un classique!) et le surf. Ça vous étonne? Pas moi! Par la suite, des études en tourisme l’ont amenée à Innsbruck en Autriche. Elle va retrouver ses éléments de prédilection, soit le plein air et la montagne. L’esprit de communauté qui anime la vie de montagnard lui permet de s’intégrer et de développer des liens avec les gens qu’elle rencontre.

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Crédit photo: Ludovic Goulet En visite au Grand Canyon, Arizona.

La passion de la neige

L’attraction pour les grands espaces l’occupe depuis un bon moment. Cet état d’esprit s’est incrusté dans son ADN. Vivre près des montagnes devient un idéal à atteindre. La montagne offre la possibilité de vivre pour le moment, de se dépasser et de repousser ses limites. Le décor, dressé de ses plus beaux habits, ouvre l’espace des possibles. Les sens ont envie de découvrir ce qu’il y a au-delà puisque le massif devant toi en cache un autre et ainsi de suite.

Ce n’est rien de moins qu’une quête d’absolu, d’exploration et de liberté. Pour Ariane, ça se traduit par un état de déconnexion où tout ce qui compte, c’est ce qu’elle vit et fait sur sa planche. Bien qu’elle soit très technique et concentrée (un héritage de la compétition peut-être?), le dépassement des limites est un mantra qui complète son amour pour les montagnes.

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Crédit photo: Laurent Gauthier À Revelstoke. Difficile de ne pas sourire avec toute cette belle neige!

En général, les gens de l’Est qui s’en vont à l’Ouest sont subjugués par la grandeur du domaine skiable et la qualité de la neige. Uniquement à l’intérieur des limites des stations, il y a beaucoup à prospecter et à approfondir. Malheur à vous, ce n’est que la pointe de l’iceberg! Vous allez rapidement constater que ce qui se trouve à l’extérieur l’est encore plus! Et puis, la recherche de la poudreuse, ça ne s’en va pas facilement. Peut-être en été et encore… Pas facile de contenir ses passions!

Dans les stations, il y a beaucoup de monde et si ça fait un moment qu’il n’a pas neigé, la neige est souvent toute tracée et les conditions ne sont pas optimales. « Un exemple illustre bien la situation, me dit-elle : Jackson Hole, au Wyoming, c’est vraiment beau, mais c’est plein de monde et le temps d’attente est long. Le lendemain, on ne voulait pas revivre ça, alors on s’est retrouvés à la station Snow King (400 âcres de terrain, 3 remontées et 500 mètres de dénivelé), c’est le terrain de jeu des locaux. Bien que cela soit plus petit, le domaine skiable est super le fun. Il y a de la neige à profusion. Nous avions prévu rester une journée, on en a fait 3 ». Le proverbe qui dit : « Dans les petits pots, les meilleurs onguents » s’applique également aux centres de ski! Et puis, où aller pour retrouver l’esprit de communauté, les locaux et du monde cool? Dans les petites stations bien sûr!

Après un moment à sillonner les stations, l’option backcountry en est une bonne si l’on est à la recherche des terrains vierges et que l’on veut fuir les foules. Depuis son séjour autour de Shames Mountain (Terrace, Colombie-Britanique) et par la suite dans les Alpes autrichiennes, Ariane a eu accès à beaucoup de terrain sauvage. La transition vers le ski d’arrière-pays est donc naturelle. La confiance s’installe petit à petit. Une p’tite formation en avalanche et un splitboard avec ça? Oh que oui! Et pis, ne pas oublier de mettre des batteries neuves dans sa balise de sauvetage (Beacon ou ARVA) !

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Crédit photo: Leo Rutherford En backcountry, Skip Mountain près de Prince Rupert. Ils sont revenus à la noirceur cette fois-là!

On va quand même avouer de quoi : le backcountry, c’est de l’ouvrage! Pour cette raison qu’Ariane préfère le slackcountry : le meilleur des deux mondes! Qui n’a pas envie d’avoir accès au terrain intéressant à partir des remontées mécaniques de la station? Mais bon, pourquoi ne pas transformer 4 heures de montée en 30 minutes et multiplier les descentes? Elle préfère en faire 4 en slack au lieu d’une en back. Et tant pis pour les puristes!

Au royaume du Freeride

Lorsqu’elle était à Innsbruck, son pote, Sam Good, lui parle des compétitions de freeride qui s’y tiennent. Au départ, elle était réticente. Son souvenir des compétitions de slalom géant, où l’objectif est de battre le meilleur temps, refait surface. Il manque un petit quelque chose. « Viens voir et tu verras, c’est différent des autres disciplines », lui répond alors Sam.

Le freeride est un tout autre état d’esprit. Le terrain est grand et ouvert. Souvent, les compétiteurs ont accès à un bol complet (ou une face de la montagne). La compétition s’échelonne sur plusieurs jours également. Les participants ont le temps d’arpenter le terrain et plusieurs options de descente s’offrent à eux. Les participants sont avant tout jugés sur l’originalité, la créativité et les manœuvres qu’ils arrivent à inclure dans leur descente.

Ariane aime beaucoup ce qui ressort de cette discipline : le partage des idées, les discussions et l’entraide entre les compétiteurs. « Le défi se trouve plus par rapport à soi-même puisque personne n’a le même style. Si tu fais une bonne manœuvre, les autres sont contents pour toi. Le but est de pousser les limites du sport. « Oui, c’est compétitif, mais de manière différente». A-t-elle trouvé la bonne discipline pour elle? Il se pourrait bien que oui!

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Crédit photo: Jena Lee photographs. En route pour le podium! Dernière participante, Ariane a su trouver un champ de neige encore intact.

Ariane s’est dit qu’elle allait essayer cette discipline pendant 2 saisons. Son but pour la saison 2020 était d’observer et de s’amuser. On peut dire que l’objectif est atteint. Il faut savoir que les résultats dans les épreuves 2 étoiles donnent accès aux épreuves 4 étoiles. Lors des événements 4 étoiles, Ariane est allée chercher 3 podiums : 1ère place à Kicking Horse, 2e place à Taos, 3e place à Revelstoke, pour un total de 5 800 points. Cette performance la place à égalité avec la planchiste de Fernie, Katie Anderson. Une 4e épreuve aurait  été nécessaire pour départager les deux planchistes. Au lieu de ça, l’appel de la route s’est fait ressentir et Ariane a terminé la saison au 2e rang mondial. Katie Anderson mérite son laissez-passer pour le « Freeride Worldtour » de 2021 avec les meilleurs résultats lors des qualifications. Ce n’est que partie remise!

Pour 2021, ses objectifs seront de confirmer ses choix, faire des vidéos, trouver des commanditaires et espérer des résultats. Surtout, ne pas oublier de s’amuser!

 Un roadtrip de ski bum au pays de la neige

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Crédit photo: Ludovic Goulet Parc national de Yosemite. Intermède. Le temps s’arrête. On est biens. La photo a été prise juste avant que le bordel ne pogne avec la pandémie.

My two cents

Alors, ça vous dit de chercher la poudreuse l’hiver durant? De vivre dans votre autobus ou dans votre van? Sans travailler ou en télétravail? On retrouve, à l’occasion, dans les films de ski, l’histoire d’un humain (ou de plusieurs) qui habite dans sa van dans les stationnements, un peu en dehors du système de consommation et qui vit ce fameux rêve. Et, avouons-le, y fait chier pas mal! Sauf que ce que l’on ne raconte pas, c’est comment il arrive à vivre. Peut-être que cette personne a hérité. Peut-être qu’elle peut travailler à distance avec son ordinateur. Peut-être qu’elle a hypothéqué sa maison pour se payer ce trip. Peut-être qu’elle a un gros salaire et qu’elle a pu prendre une sabbatique tout en étant payée. Si vous répondez oui à une de ces situations, je suis content pour vous.

Il y a quand même moyen de le vivre, plus humblement. C’est vraiment beau l’Ouest sauf que l’envers de la médaille est que le coût de la vie est élevé. À titre d’information, BC (British Columbia), ça veut dire Bring Cash ou Bring Credit, c’est votre choix! Une chambre à Banff pour une personne coûte environ 800 $ par mois, 1 100 $ pour un couple. La nourriture est plus dispendieuse que dans bien d’autres endroits. Un billet de ski coûte environ 125 $ par jour. Donc, une passe de saison est une nécessité. Les passes se détaillent entre 900 et 1 200 $ en prévente dépendamment des endroits. Les salaires dans les stations de ski tournent autour de 15 $ l’heure (salaire minimum en Alberta). Si vous envisagez travailler dans les stations, il y a de bonnes chances pour que vous trouviez une chambre autour de 400 ou 500 $ par mois dans un staff accommodation avec une gang de jeunes mongols sur la brosse. Mais bon, quels sacrifices ne ferait-on pas pour vivre ce rêve?

D’où vient cette idée de vivre dans un autobus?

Pour Ariane, voyager avec sa maison fait partie de sa personnalité. « Après une multitude d’expéditions à vivre et à dormir dans ma Toyota Echo, le bus, c’est le gros luxe », me lance-t-elle en riant! Étant donné que le bus est sa maison, elle caresse le rêve d’y vivre à temps plein. Ce qui l’inspire est l’autonomie, l’indépendance et la liberté d’aller où elle veut. Le désir de vivre en marge des systèmes de consommation et de réduire au maximum ses besoins et les dépenses tout en ayant une « sorte de chez soi bien unique » la motive au plus haut point. C’est un style de vie minimaliste, bien différent des touristes avec de gros véhicules récréatifs!

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Crédit photo: Ariane Goulet Home sweet home.

« On y rencontre aussi le même type de personnes que nous, on connecte ensemble, car on vit le même genre de vie. Les gens se suivent et se retrouvent. L’esprit de communauté se crée entre gens de bus et de van » me confie-t-elle. Pour ses déplacements, elle adapte son itinéraire selon les compétitions auxquelles elle prend part. Elle s’est promenée du Québec jusqu’au Nouveau-Mexique, en passant par l’Alberta et la Colombie-Britannique. Ajoutons à cela un séjour au Wyoming, au Utah et au Colorado. Beau roadtrip vous ne trouvez pas?

La transformation du bus

En attendant de réaliser son grand rêve d’avoir une auberge roulante, c’est-à-dire  de transformer un autobus de 52 pieds et d’offrir des voyages d’aventure, Ariane a opté pour un minibus qui est plus facile à déplacer, à stationner et à transformer. Chaque chose en son temps!

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Crédit photo: Ariane Goulet À Sequoia national parc. Home is where the heart lives. C’est toujours satisfaisant de trouver des campings gratuits!

Pour le moment, c’est la phase d’exploration : l’heure des essais et des erreurs, d’apprécier les bons coups et de déterminer si elle aime vraiment ça. Ses amis et sa famille se sont mobilisés pour l’aider à transformer l’autobus en maison roulante, car les préparatifs ont pris plus de temps que prévu. Cela lui a permis de passer du temps de qualité avec eux. Encore une fois, c’est l’esprit d’entraide et de communauté qui fait la différence. Seul, on avance vite. En groupe, on va plus loin.

Living the dream

La première fois qu’elle en a parlé à ses amis, Ariane se donnait 5 ans pour trouver un bus et l’aménager. Hélas, à un retour de voyage, elle apprend qu’une de ses amies atteinte du cancer demande l’aide à mourir. C’est trop jeune de mourir à 30 ans.

La suite des choses a pris une autre tournure et le projet a avancé plus vite que prévu.

De cette situation, une série de remises en question s’est imposée. À débuter par se demander qu’est-ce que l’on AIME et ce que l’on a VRAIMENT envie de faire.  L’orientation de ses actions sera déterminée par le fruit de cette réflexion.

Vivre pleinement, l’apprécier et vivre sans regret lui apparaît alors comme une évidence.

Alors, Living the dream? Ariane et moi détestons profondément cette expression! C’est pourtant une phrase qu’on lance, à la volée, avec une pointe d’envie, aux gens qui s’en vont passer une saison dans l’ouest à dévaler les pentes! Mais, vous savez quoi ? Ce n’est pas de la chance de vivre ainsi. C’est le fruit d’une série de réflexion, de décision et de travail à faire avant de s’y rendre. Alors, la chance, on se la fait. On décide de partir et d’assumer nos choix. Rien n’arrive sans travail ni acharnement.

C’est lors de ses recherches pour trouver un autobus, qu’Ariane a trouvé une roche sur laquelle il est inscrit le mot  « Courage » à la peinture. Courage d’assumer ses choix, de vivre sa vie et ses rêves. L’autobus a été baptisé au nom de son amie et la roche est bien en vue sur le tableau de bord. Question de se rappeler que les gens qu’on aime vivent en nous même après leur départ.

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Crédit photo: Ariane Goulet Rien n’arrive pour rien.

Question de se rappeler que lorsque l’on s’engage dans la réalisation d’un rêve, d’un projet,  l’Univers met tout en place pour que cela fonctionne.

Si l’on se réfère au proverbe « Home is where the heart lives », on se rend compte que l’endroit importe peu tant que le cœur est fidèle à lui-même. Keep on riding Ariane!

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Crédit photo: Ariane Goulet Dans le stationnement de Revelstoke. À bientôt sur une pente pleine de neige!

Une réflexion sur “Ariane et son autobus jaune

  1. Roland Côté

    Bravo pour cet article absolument intéressant sans passage neutre. J’admire la façon de vivre d’Arianne qui se donne à 100% à sa passion et à son idéal de vie. Elle a déjà beaucoup de choses intéressantes à raconter.Ça va certainement finir par un livre.

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